Mon blog-notes pour vous parler du métier de traducteur, mais aussi et de manière plus générale de la langue française, de son étymologie, de sa littérature, de sa traduction, de ses expressions et d'un tas d'autres surprises.
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lundi 14 septembre 2009

Animer une équipe.

Cette expression est issue du vocabulaire des opérateurs de vacances organisées, puis fut empruntée par le jargon des Ressources Humaines. 

La première fois que j’ai consulté une offre d’emploi mentionnant cette qualité dans les compétences requises au poste à pourvoir, j’ai vérifié qu'il ne s'agissait pas d’un job estival d’animateur au Club Méditerranée. Bien que ce ne fût pas le cas, la ressemblance est pourtant marquante. Cela signifie que de nos jours, on ne cherche plus un chef d'équipe ou de service, mais un G.O. 
Le langage des Ressources Humaines est rempli d’euphémismes et autres dénominations politiquement corrigées. Jusqu’à la dénomination même de ce domaine : Ressources Humaines, ça fait classe. Avant, on disait « Service du Personnel ». Parfois, dans les grandes entreprises, il y avait même quelques personnes affectées au recrutement. Dans le temps de mon père, on embauchait et parfois on virait quand ça ne convenait pas. Maintenant, on recrute toujours (enfin ...), mais aussi on évalue, on coach, on aiguille, on forme, on prospecte, on manage, on recycle, on établit des échelles de compétences, de productivité, de motivation, etc. On ne dit plus qu'un employé ne convient pas, mais on lui signifie son incompatibilité fonctionnelle avec l'esprit d'entreprise qui anime le cercle de collaboration. C’est plus contraignant à dire mais ça enrichit le vocabulaire. 

Bref, les Ressources Humaines ont transformé le monde du travail en un parc d'attraction où les patrons ne sont pas moins méchants, mais où il ne font plus du tout peur parce qu’ils portent de jolis titres anglicisés à souhait. "Member of the Management Board and Executive Senior Vice-President of Office Services", ça claque ! Mieux que "sous-directeur en charge du secrétariat"
Gaston Lagaffe, le garçon d’étage qui fait les photocopies, est devenu Xerox Manager. Monsieur Demesmaeker n'est plus un gros client, mais un partenaire, certes commercial, mais très particulier. C'est à la limite des convenances en terme de sous-entendus sexuels, mais le relationnel y gagne. D'ailleurs, dans les couloirs, on se tutoye sans se connaître, on s'appelle par son prénom (au point de souvent ignorer le nom de famille), on garde les moutons ensemble.
Grâce aux Ressources Humaines, celle qui grommelle tout le temps en vidant les poubelles pleines de cochonneries de Gaston n’est plus une femme de ménage, mais, c’est bien connu, une technicienne de surface affectée à la propreté des locaux fonctionnels. Elle ne gagne plus maigrement sa vie en nettoyant les crasses des autres, mais elle est responsable de la mission de maintenance de l’hygiène des postes de travail à un niveau respectant les normes ISO et sanctionné par la juridiction européenne en la matière. Oui oui, ce n’est pas un gagne-pain, mais une mission. Un sacerdoce, quoi. On ne bosse plus ! Non, on remplit une mission utile au bien-être de l'entreprise (que l'on veut faire passer pour LA société). 

Celui qui n’est pas convaincu de l’importance de sa charge remet en cause toute la philosophie d’entreprise, tout le respect qu'il doit à ses contemporains par le biais de ses collègues et la belle image qu’ont les Ressources humaines de la vie (qui ne tourne qu’autour du travail) et doit donc être immédiatement et irrévocablement lourdé afin de ne pas compromettre l’intégrité morale de l’ensemble de la société civile. De ce fait, les chômeurs ne sont pas des gens qui ont du mal à s’intégrer au monde du travail, comme on pourrait le croire, mais ce sont des gens qui sont incapables de ne pas vivre que dans le monde du travail. Comme s’il y avait quelque chose à côté ! Vraiment que des nuisibles ceux-là !

Pour en revenir à notre définition, animer une équipe, donc, ce n’est pas simplement être chef. Il y a trop de chefs « à l’ancienne » qui n’animent rien du tout, mais qui arrivent de grand matin pour s’enfermer dans leur bureau comme des ermites en pleine contemplation. C’est fini ça. Animer une équipe n’est pas simplement être chef, c’est jouer au petit chef. Seulement, ça ne se dit pas, c’est négatif. Les Ressources Humaines n'oseraient jamais écrire dans une petite annonce qu’on recherche un connard pour en faire chier des ronds de chapeaux à ses subalternes. D’ailleurs, il n’y a plus de subalternes, il n’y a que des collaborateurs (et là, les Ressources Humaines, elles n’ont même pas tressailli à l’idée que ce mot peut avoir une connotation très négative. On ne fait pas d’Histoire, on fait de la comm’). 
On recherche un animateur, comme pour les émission télés : un mec qui parle beaucoup pour ne rien dire afin d’endormir l’équipe pour qu’elle participe au jeu mais ne gagne jamais le gros lot. Le taff, c’est un jeu amusant, puisqu’il y a des équipes et un animateur et qu’on y a introduit la notion de compétitivité. L’employé, le « collaborateur », est un concurrent, à la compétition, pour les autres collabos. C’est « Une Famille en Or » mais avec la pression de « Qui veut Gagner des Millions » quand on donne une mauvaise réponse.

Vous l’aurez compris, plus on édulcore la langue, plus on sophistique un jargon, et plus ce que cela cache est gros. C'est, tout simplement, un exemple flagrant des dérives dangereuses de l'application stricte du Politiquement Correct. Ca part de l'intention louable de ne vouloir vexer personne en utilisant des termes soi-disants valorisants, et ça se termine comme dans le roman 1984, où la dictature en place a réinventé la langue en réduisant le vocabulaire à quelques miliers de mots et en utilisant de l'euphémisme et du ronflant, du pompeux pour qualifier le plus inqualifiable (imaginez par exemple que Brice Hortefeux ait la même fonction, mais qu'il soit Ministre de la Fraternité entre les Peuples).

C’était déjà pas drôle de travailler avant, mais maintenant que c’est une compétition à qui sera le meilleur G.O., que plus l’environnement de travail est impitoyable, plus on voudrait se faire croire que c’est des vacances organisées par le C.E., ça devient carrément triste, le travail. Heureusement qu’il y en a pour animer tout ça ! Moi aussi, j’anime souvent des repas de famille. Je pourrais faire pareil au bureau en racontant quelques gaudrioles, ça chauffe la salle. Mais au Service Recrutement des RH, ils ont dit que ce n’était pas la bonne méthode. « Vous nous faites du Dechavanne, monsieur. Nous, on cherche une Laurence Bocolini. » Vous êtes le maillon faible, au revoir et rendez-vous à l’ANPE !

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