Mon blog-notes pour vous parler du métier de traducteur, mais aussi et de manière plus générale de la langue française, de son étymologie, de sa littérature, de sa traduction, de ses expressions et d'un tas d'autres surprises.
N'hésitez pas à donner votre avis en cochant les cases sous chaque billet.

lundi 14 septembre 2009

Les rétro-acronymes.

D'après la définition de Wikipedia, La rétro-acronymie est le fait d'interpréter un mot comme un acronyme, alors que ce n'en est pas un à l'origine, ou alors de donner un nouveau sens à un acronyme existant. Il y a donc deux sortes de rétro-acronymes (ou de rétro-sigles), qu'on pourrait diviser entre les vrais et les faux. Il s'agit en tout cas d'un exercice qui donne souvent un résultat très fantaisiste. Qui ne s'est jamais amusé à trouver une signification insolite à un acronyme ou à une abréviation ? Un exemple très français est la signification « Rentre Avec Tes Pieds » ou « Reste À Ta Place » pour la RATP (régie autonome des transports parisiens). Il y a aussi « Tout Va Augmenter » au lieu de Taxe de la Valeur Ajoutée pour la fameuse TVA.



Notons qu'en dehors de ces interprétations détournées, il y a dans le processus de création d'acronymes classiques et surtout dans celui de rétro-acronymes souvent l'intention délibérée qui consiste à forger un mot existant dont la signification est en rapport avec l'activité de l'acronyme. Ce n'est pas par hasard que la société d'édition de programmes de télévision, c'est-à-dire La Sept, changea de statut social pour devenir la société européenne de programmes de télévision dès qu'elle devint le septième diffuseur national. Ce n'est pas un hasard non plus si cette septième chaîne fut plus tard remplacée par Arte, un nom bien choisi pour une chaîne culturelle et qui est sensé vouloir dire, au choix, Association relative à la télé européenne ou d'après le Ministère de la culture, Association de retransmission télévisuelle européenne. Le fait de changer la signification d'un acronyme déjà existant, souvent pour coller à une nouvelle réalité, c'est aussi de la rétro-acronymie. 


Un autre exemple d'abréviation qui a changé de signification est le sigle DVD. Alors qu'il était encore en cours de développement, ce nouveau support numérique n'était pas baptisé. Il a d'abord été annoncé dans la presse comme étant un digital videodisk, rapidement abrégé en DVD. Comme ce terme est réducteur, vu qu'on peut y stocker autre chose que de la vidéo, les fabricants ont proposé versatile (polyvalent) à la place de vidéo. Néanmoins, les licences et descriptions commerciales ne mentionnent pas la signification du sigle DVD. Un consortium mondial réunissant les principaux acteurs de ce secteur (fabricants et développeurs), ne pouvant se mettre d'accord, a décidé de ne pas donner de signification particulière au sigle. Dès lors, officiellement, ce support média s'appelle DVD, tout court. Pour l'anecdote, on lui prête parfois la signification de Digital Venereal Disease (maladie vénérienne numérique) par allusion à l'épidémie de piratage et de copies illégales. Si l'on peut parler de rétro-sigle, en voilà un bel exemple et avec Des Versions Différentes ! Peu importe d'ailleurs la signification exacte. Qui se soucie de savoir que VHS vient de Video Home System mais qu'en phase de développement, cela aurait signifié Vertical Helicoïdal System ?

Un autre sigle qui ne signifie en soi rien du tout est le fameux signal de détresse SOS. Ce signal a été adopté en 1908 par pure convention, car il est le plus simple possible en code morse (ti-ti-ti-ta-ta-ta-ti-ti-ti) et reconnaissable de tous même avec du brouillage sur les ondes. En réalité, ce ne sont pas les lettres O et S qui sont envoyées, car il faudrait une pause entre chaque lettre. Or, le signal de détresse est envoyé en continu (...---... / ...---... / etc. au lieu de ... / --- / ...) Les lettres ne sont donc pas épelées, mais le signal a été nommé SOS tout simplement comme moyen mnémotechnique. C'est a posteriori que les rétro-acronymes Save Our Ship et Save Our Souls (et même en français Secours Ou Sombrons) sont apparus. Pourtant, SOS ne veut rien dire et ce pour la simple raison que ce n'est pas une abréviation, donc ni un sigle, ni un acronyme !

Etymologies populaires

Les Anglo-Saxons ont inventé des étymologies populaires pour certains mots, basés sur le principe de la rétro-acronymie, qu'ils appellent par un fort joli mot-valise des backronyms. Ainsi, il n'est pas rare de lire sur internet des légendes toutes plus invraisemblables les unes que les autres expliquant l'origine perdue d'un acronyme ancien. Citons entre autres l'histoire de ce châtelain, veuf inconsolable, et qui n'avait pour seul divertissement que de s'occuper de sa pelouse. Il inventa un sport pour se détendre et invita d'autres hommes à le rejoindre. Par égard pour sa femme décédée, il ne voulut rencontrer d'autres femmes et plaça à l'entrée de son domaine l'écriteau « Gentlemen Only, Ladies Forbidden ». C'est ainsi que son jeu devint … le golf ! C'est bien joli comme histoire, mais c'est évidemment absolument faux. L'étymologie classique nous informe que le mot écossais gouff, puis golf, est certainement un emprunt du néerlandais, où un sport comparable s'appelait kolf, lui-même dérivé de l'allemand kolbe, qui signifie « bâton ».

Les « gros mots » ont eux aussi droit à des rétro-acronymies à dormir debout. L'origine que l'on prête par exemple au mot fuck est elle aussi le fruit d'une imagination débordante. Une première version de l'histoire explique que dans la Grande-Bretagne du moyen-âge, les seigneurs décidaient du droit de consommer le mariage. Les jeunes mariés voulant remplir leur devoir conjugal devaient demander l'autorisation à leur seigneur. Une fois l'autorisation octroyée, ils placardaient sur la porte de leur maison « Fornicating Under Consent of the King » (en train de forniquer avec le consentement du roi), ce qui donna l'abréviation FUCK et avertissait les passants qui seraient susceptibles d'entendre cris et chuchotements que tout cela se passait dans la plus grande légalité. Naturellement, cette loi complètement inapplicable n'a jamais existé.
Une autre histoire explique qu'en Irlande, les couples adultères étaient exposés en place publique avec l'écriteau « For Unlawful Carnal Knowledge » (pour connaissance charnelle illégale). En admettant qu'une telle punition existât, il aurait été plus logique d'écrire sur l'écriteau « adultère » plutôt que l'abréviation d'une obscure formule pseudo-légale dans la langue du peuple (qui ne ressemblait d'ailleurs pas encore à de l'anglais contemporain) alors que la langue de la justice était encore le latin. D'ailleurs, s'il s'agissait bien d'une loi, elle devrait se retrouver dans les nombreux textes de loi d'époque, puisque selon la légende, ce n'était pas encore un gros mot. Ce n'est évidemment pas le cas.

Pour la langue française, nous avons l'explication du mot taf, qui serait l'acronyme de « travail à faire ». Le premier dictionnaire venu nous détrompera. Taf est probablement issu au XVIIe siècle de l'onomatopée tif-taf, évoquant le bruit des fesses qui s'entrechoquent sous l'effet de la peur. Au XIXe siècle, taf était un mot d'argot pour peur et on en retrouve de nombreuses traces ans la littérature d'époque. Au début du XXe siècle, il signifie part de butin. L'expression « chacun son taf » voulait donc dire « chacun sa part ». Ce n'est que dans les récentes décennies que la signification a encore glissé pour devenir synonyme de travail.

Il va de soi que certaines personnes continuent à prêter de la véracité à ces étymologies populaires, principalement pour les mots tabou comme fuck ou shit, qui à cause de leur vulgarité n'apparaissent que très sporadiquement dans la littérature plus ancienne, ce qui rend leur origine obscure. Cependant, les faits historiques démontrent qu'il s'agit bel et bien de légendes. Premièrement, même si la fréquence en est très rare, on retrouve bien la trace de ces mots dans des textes anciens. Fuck, sous des formes anciennes, est vraisemblablement un mot du XVe siècle. Or, le procédé des acronymes, bien que connu de longue date, n'a été utilisé couramment qu'au tout début du XXe siècle. Une exception notable est INRI, dont l'utilisation dans la chrétienté est très ancienne.
De plus, il est peu probable que l'étymologie d'un acronyme soit tout à fait perdue au point de ne plus en trouver trace. Si certains acronymes du langage courant ont perdu leur caractère d'abréviation, comme laser (light amplification by stimulated emission of radiation) et radar (radio detection and ranging), il suffit d'ouvrir un dictionnaire ou une encyclopédie pour en trouver la signification. Il est inimaginable que l'origine d'un mot fabriqué ne soit pas consignée quelque part.

Les acronymes récursifs

Le procédé déjà ingénieux d'inventer des acronymes qui sonnent bien s'est peu à peu sophistiqué jusqu'à l'avènement de l'ère informatique. C'est même devenu l'un des « jeux » préféré des développeurs de logiciels ou de projets informatiques. Ainsi, pour vous parler de ma propre expérience, j'ai traduit des manuels traîtant de systèmes informatiques baptisés VERDI, VINCI ou LISA, avec une signification acronymique plus que capilotractée.
La sophistication consiste en la récursivité de certaines abréviations, phénomène très répandu dans la communauté des logiciels libres et des systèmes GNU/Linux. Le mot Linux lui-même est un rétro-acronyme récursif. Originellement, le nom de ce noyau basé sur le système Unix provient du prénom de son développeur, Linus Torvald. Il a très vite reçu la signification « Linux Is Not UniX » à l'instar de GNU, qui lui signifie réellement, en plus de gnou (l'animal), « GNU is Not Unix » ! La récursivité, c'est le fait que l'abréviation est contenue dans l'abréviation. Un autre exemple est l'encodeur de MP3 LAME, qui signifie « LAME Ain't an MP3 Encoder » tout en étant un nom peu flatteur pour un produit, puisque lame veut dire bancal, mal foutu. Même votre carte Visa est un acronyme récursif qui signifie « Visa International Service Association ».


En conclusion, la multiplication des sigles et acronymes rend encore plus amusant le petit jeu des rétro-acronymes et de la récursivité, que ce soit à des fins purement humoristiques, par détournement (RATP, TVA) ou par l'étymologie populaire (taf), ou bien plus sérieusement pour démarquer son invention ou sa marque de commerce (LAME, VISA) de la concurrence. Il n'est pas inimaginable que bientôt, et pour de vrai, même les dictionnaires étymologiques en perdent leur latin !

1 commentaire:

  1. En français, secours à la caractéristique d'établir astucieusement un rapport avec SOS par la notation graphique SecOurS

    RépondreSupprimer

Membres